Face au langage il y a deux attitudes possibles, lui faire confiance ou ne pas lui faire confiance. Les surréalistes, Breton et Péret en particulier, font confiance au langage. Breton observe naturellement la syntaxe. La révolution surréaliste ne réside pas dans l’observance ou pas de la syntaxe mais dans la contestation de l’ordre imposé aux mots; il suffit de lire attentivement Breton: « Les mots, de par la nature que nous leur reconnaissons, méritent de jouer un rôle autrement décisif. Rien ne sert de les modifier puisque, tels qu'ils sont, ils répondent avec cette promptitude à notre appel. Il suffit que notre critique porte sur les lois qui président à leur assemblage. »

Péret non plus ne perturbe pas la syntaxe mais c’est lui qui a été le plus loin dans l’émancipation du langage en créant sans cesse de nouvelles relations entre les mots. J’irai jusqu'à dire qu’il a changé les rapports de force entre les mots. Il se conduit avec eux comme il souhaiterait pouvoir le faire avec les hommes et les peuples opprimés. «Jamais les mots et ce qu'ils désignent, échappés une fois pour toutes à la domestication, n’avaient manifesté une telle liesse », constate la notice de l’Anthologie de l’humour noir qui lui est consacrée. Cette poésie introduit à une nouvelle idée de la fête. Péret a mené une poésie de château.

La pensée poétique de Péret et sa pensée politique affirment l’égalité de tous les hommes à l’intérieur d'eux-mêmes, devant « le message subliminal », comme à l’extérieur, face à la réalité sociale, et je crois que sa fidélité à l’écriture automatique s’explique par son attachement inconditionnel à la cause de la liberté. En cela, mais j’y reviendrai, le parcours de Péret s'oppose radicalement à celui d'Aragon.
Si pour Géza Róheim la fonction du mot comme objet culturel est de relier les mondes intérieur et extérieur pour établir un passage possible du désir à la satisfaction, pour Péret elle est plutôt rite de passage. Depuis Van Gennep (1909) on sait que les rites de passage font partie des formes les plus répandues des rituels. Un trait dominant chez Péret, présent dans les poèmes et les contes, est l’analogie entretenue entre le monde primitif et celui recréé par le poète. Mais au-delà de ce monde qu’il approchera au cours de ses voyages au Mexique et au Brésil, c’est le monde de l’ère originelle où les mythes prennent leur source, celui où l’extraordinaire était la règle que retrouve Péret, un monde où la nécessité n’est plus loi, celui des pouvoirs perdus qui sont à reconquérir. Là est le combat du poète comme celui du révolutionnaire sans qu’ils se confondent jamais. Dans les îles Loyauté à Lifu, l’organe sexuel est appelé «son mot», le mot spermatique. Péret sème les mots, il les fait fleurir, il prend nos mots de plomb pour en faire de l'or. (Notons au passage qu’avec l’alchimie la matière est déjà valorisée dans les mots.)

Pour Péret comme pour Géza Róheim, « les rêves sont cela même dont nous sommes faits. La psychanalyse à son terme constate que la magie et la folie sont partout. Le but ne peut être l’élimination de la pensée magique ou de la folie, le but ne peut être que la magie consciente ou la folie consciente; la maîtrise consciente de ces feux. Le but est de rêver éveillé ».

Pour les surréalistes l’image la plus forte est celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé.., celle qu’on met le plus longtemps à traduire en langage pratique. En cela les poèmes de Péret sont d’une richesse inépuisable. Péret est le poète de l’automatisme par excellence. On se trouve émerveillé comme devant la beauté d'une langue « étrangère » et, après la première stupeur passée, on se rend compte qu’on est à même de comprendre cette langue inconnue sans avoir, par extraordinaire, besoin de l’apprendre. Je crois que ce qui ne fut jamais pardonné à Benjamin Péret, peut-être plus encore que Le Déshonneur des poètes, c'est sa liberté totale d’écriture en position d’écart absolu avec la vision figée du beau langage et une certaine tradition réactionnaire, en un mot c’est sa fidélité à l’automatisme.
 
(extraits)

Jean-Michel Goutier, Pleine Marge, n° 7, juin 1988, repris dans Signes, n° 19, juin 1995, pp. 45-47.



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