Apogamie de l’incandescence dans la détresse


 «Besoin de vacances». Tout le monde, c’est bien connu, en a besoin. Magritte a jadis établi de manière évidente, en plaçant un verre d’eau sur un parapluie, que Hegel lui-même n’y voyait pas d’inconvénients.  Alors, pourquoi pas la vieille ? Après tout ce qu’elle a vu, après tout ce qu’elle a traversé depuis des lustres, n’a-t-elle pas un droit plus légitime que le dieu de l’Ancien Testament à revendiquer la paresse ?  Mais que sait-on au juste de cette vieille que Jean-Claude Silbermann (alias Gycée Hesse) a l’air de si bien connaître ?
Elle est d’abord répugnante. Tout le monde ou presque s’en détourne ; elle traîne son corps massif dans des endroits malsains. Elle a les yeux rouges.
On sera bien en peine de retrouver ces yeux incandescents dans l’exposition de bois découpés de la galerie 1900/2000 (10 septembre-11 octobre 2008) : tout juste, remarque-t-on deux cerises au bout d’un diapason.

Rouge sang, rouge cerise, rouge de braise : quel est ce rouge qui baigne ce regard ? On ne saurait au juste le dire. Peut-être de ce rouge qui colore certaines feuilles l’automne venu, et qui, lorsqu’on s’y absorbe, nous transporte en un instant dans une rêverie tenant à bonne distance la nullité poisseuse du quotidien.
Une chose est certaine : qui a vu ces yeux, ne les oubliera pas et sera même tenu à une absolue fidélité. Ces yeux sont de ceux qui permettent de réinventer la continuité trop souvent brisée entre « l’étreinte poétique » et « l’étreinte de chair ». Nous voilà relancé à toute vitesse Sur la route de San Romano (Breton). On ne pensait pas la vieille si gaillarde, si entreprenante, si féconde : il suffisait de la décrasser, de la laver méticuleusement. Il faut la voir au sortir du bain : « Elle est splendide, la vieille, encore ruisselante, nacrée et aussi blanche et bosselée qu’un énorme bloc d’écume de mer non taillé, sommée de cette tignasse rousse comme par flambée de ses pensées à la cime de son cœur enneigé ». Vous la reconnaissez maintenant ? Vénus anadyomène ; non pas celle des parnassiens d’hier ou d’aujourd’hui, mais celle qui « tend sa large croupe » dans un sonnet de Rimbaud. Cette vénusté-là, bien faite pour les égarements interlopes, est toujours intempestive, toujours en danger. La vieille passe ses vacances à errer à fleur d’abîmes. C’est un travail à plein temps que de lui porter secours. Qui aujourd’hui est capable d’une telle dévotion  ? Qui voudrait passer ses vacances avec la vieille ? Les  amateurs sont priés de prendre contact au plus vite avec Gycée Hesse.

Jérôme Duwa