Mary Low Machado, née Stanley-Low, est décédée le 14 janvier 2007 d’une crise cardiaque à l’âge de 95 ans. Poète, compagne de Juan Breá, elle avait fréquenté à Paris le groupe surréaliste au milieu des années trente.
J’étais entré en contact avec elle au moment de la préparation du tome des œuvres complètes de Benjamin Péret rassemblant ses textes politiques. Sur une carte postale envoyée d’Espagne par Péret, figuraient quelques lignes de la main de Breá. Ecriture indéchiffrable et d’un style bien particulier qu’elle seule pouvait restituer. Ce qu’elle fit immédiatement en me disant toute son émotion. Depuis cette époque nous n’avons cessé de correspondre et, chaque année, nous nous retrouvions soit à Paris, soit à Lyon. Pour rien au monde elle n’aurait manqué, durant les mois d’été, de visiter la France, l’Italie ou l’Angleterre, fuyant la Floride qu’elle détestait, et dont, m’écrivait-elle, « il n’y a rien à raconter, car rien ne s’y passe jamais ».
Très affaiblie et malade, elle devait pourtant renoncer à se rendre « du bon côté de l’Atlantique » selon sa propre expression. Jusqu’aux derniers moments elle aura vécu dans l’entourage affectueux de ses trois filles : Helga, Yoty et Yara. Celles-ci se sont rendues en France pour disperser ses cendres à Amboise, où Mary se rendait à chacun de ses voyages, dans ce lieu où elle passa des jours enchanteurs avec Breá, son grand amour. Le texte biographique qu’on lira ci-dessous a été écrit pour le recueil de Mary Low : Sans retour, édité par Syllepse en avril 2000 et préfacé par Gilles Peticlerc.

Gérard Roche, Trois cerises et une sardine , n°21, novembre 2007.


Mary Low est née le 14 mai 1912 à Londres. Son père, Vernon Foster-Low, ingénieur des mines, est un lointain descendant des comtes de Derby et sa mère la fille de Francis Augustus Wright, ministre du gouvernement australien. C’est en Australie qu’elle passe la première partie de son enfance pour revenir, vers l’âge de cinq ans, en Angleterre, et vivre avec ses parents à Chorleywood, à la campagne, dans le comté de Wattford. Ses parents l’envoient à l’âge de onze ans dans une école à Lausanne accueillant les enfants de familles riches de l’aristocratie. Elle y apprendra le français. A seize ans, elle retourne de nouveau en Angleterre pour y terminer ses études.
Son enfance est marquée par les voyages. Elle suit son père, dont la profession l’oblige à de fréquents déplacements, en France, en Suisse et en Espagne. Elle effectue plusieurs séjours à Paris avec sa mère pendant la période des vacances. Ce goût du voyage ne la quittera jamais.
Mary Low écrit dès la petite enfance. Elle se souvient avoir écrit son premier poème à l’âge de huit ans. Elle lit les poètes anglais : Auden, Byron, Keats, Shelley, Swinburne et s’enthousiasme pour Huxley dont elle dévore l’œuvre entière. En Suisse elle lit dans le texte : Hugo, Musset et Vigny. Elle se passionne pour les romans de Balzac. Plus tard, elle découvrira seule : Apollinaire, Baudelaire et Rimbaud.

Lorsqu’elle atteint sa majorité, elle s’enfuit de chez elle et décide de s’installer à Paris. Elle bénéficie d’une modique rente que lui procurent ses parents, mais doit, pour vivre, exercer des petits boulots. Elle fait de la couture ou vend des livres. A Paris, elle fréquente des gens simples, mais se mêle aussi au milieu artistique d’origine espagnole et cubaine qui peuple les cafés où l’on joue de la guitare et où l’on danse. C’est en octobre 1933 qu’elle rencontre à la Coupole le poète cubain Juan Breá qui devait devenir le grand amour de sa vie. Juan Breá (1905-1941) a été l’un des initiateurs du groupe « H », un groupe de poètes de l’avant-garde cubaine, influencés par la poésie moderne de l’Europe des années vingt. Militant communiste de la première heure, il compte parmi les fondateurs de l’opposition trotskiste à Cuba.

La vie de May Low bascule dans le sillage de Breá qui l’entraîne dans l’aventure surréaliste et la révolution. Ils parcourent l’Europe : Bruxelles, Vienne, Belgrade, Bucarest et y rencontrent: Magritte, ELT Mesens, Victor Brauner, Jules Perahim. A Paris, ils ont pour amis Oscar Dominguez, Marcelle Ferry et Benjamin Péret. Lorsque la guerre civile éclate en Espagne, ils accourent à Barcelone, plongent corps et âme dans le combat révolutionnaire et retrouvent à leurs côtés Benjamin Péret. Contraints de fuir l’Espagne en janvier 1937 pour échapper aux tueurs de la police politique de Staline qui assassineront leur ami Andres Nin, ils rédigent le premier témoignage sur les débuts de la révolution espagnole et les événements qui annoncent la tragédie qui se prépare et mettra fin à leur espoir de transformer le monde. Red Spanish Notebook paraît en 1937 à Londres, préfacé par CLR James, le futur auteur des Jacobins noirs, et salué par George Orwell, avant que celui-ci ne délivre son propre récit dans Catalogne Libre. A Prague, où ils séjournent de janvier à août 1939, ils fréquentent le groupe surréaliste autour de Toyen et Jíndrich Heisler ; ils éditeront un recueil à deux voix : La Saison des flûtes, avant d’échapper in extremis cette fois-ci aux nazis qui ont envahi la Tchécoslovaquie.

Réfugiés à Cuba au début de la guerre, ils retrouvent leurs amis poètes, anciens du groupe « H » et s’installent à La Havane. Mais le drame survient : Breá, dont la santé est ruinée, meurt brutalement du tétanos le 17 avril 1941. Mary Low tente de se suicider et parvient à surmonter sa douleur, aidée par ses amis. Elle publie en 1943 La Verdad contemporanea, un recueil de leurs conférences faites à Barcelone, dont le prologue est écrit par Benjamin Péret. C’est finalement la poésie qui sera sa raison de vivre et de se souvenir. L’être aimé disparu : la nuit est pour toujours, il n’y a pas de retour possible de cet amour et du passé, mais elle en recrée indéfiniment la réalité à travers l’alchimie du souvenir. En 1946, elle publie Alquimia del Recuerdo illustré par son ami Wifredo Lam.

A Cuba, Mary Low a vécu entre La Havane, Santiago de Cuba et d’autres endroits jusqu’en 1964. Entre-temps elle s’est remariée avec Armando Machado, dont elle aura trois filles. Elle participe au mouvement révolutionnaire qui renverse le dictateur Batista. Sous le nouveau régime de Castro elle enseigne la littérature anglaise à l’Université de La Havane. Mais très vite elle voit s’installer les méthodes staliniennes qu’elle a combattues en Espagne. Son mari, ancien militant trotskiste, est arrêté et libéré grâce à la protection de Guevara. De nouveau elle se trouve dans le camp des réfractaires et des opposants. Elle réussit à quitter Cuba en mai 1964 et gagne l’Australie où elle se réfugie chez sa sœur. L’année suivante, accompagnée de ses filles, elle trouve asile aux Etats-Unis. Son mari l’y rejoindra bientôt par ses propres moyens.

Aux Etats-Unis elle publie plusieurs recueils de poésie et un roman sur Jules César. Elle enseignera pendant de longues années le latin et l’histoire romaine. Inlassablement, elle tentera de recueillir les poèmes de Juan Breá qu’elle réussit enfin à faire paraître en 1991 sous le titre Poèmes d’alors qu’elle préfacera. Malgré la maladie et son grand âge brûle en elle toujours la même flamme qu’au temps de sa jeunesse. Elle partage sa vie auprès de sa famille, entre la Floride et l’Europe. Chaque année elle visite les lieux magiques et ses amis : « vers les pays nus, les pays ensevelis / les pays léchés par la faim / suffiront à nous tous / voulez-vous l’avenir ? »

Gérard Roche : postface pour Sans retour de Mary Low, édité par Syllepse en avril 2000.


 



Les Espagnols noirs


Les espagnols noirs
aux yeux en chocolat – amande douce
en piment
en flamme
en vin rouge et en velours
aux cheveux en plume de coq
aux cheveux astiqués de nouvelle lune
aux cuisses doublées de reflet de fer et de feu

Les éclairs jaillissent
quand ils frappent du pied
Leurs jurons sonnent comme des cravaches

Oh! Je te prendrai par cette gorge
où palpite l'aile d'une colombe brune!
Je te prendrai par ces hanches titubantes
qui font crépiter le plancher
sous leur promesse rouge.
Le parfum d'un regard en biais
en charbon
en drap de lit
ton regard décoletté
danse sur les bords d'une paupière – rideau.

Le panache d'un compliment –
fausse monnaie d'une eau trouble –
va-et-vient
dans ces bouches aux violents pétales
et aux couleurs sonores.

Extrait de La Saison des flûtes de Juan Breá et Mary Low, 1936.