Notre ami et collaborateur Edouard Jaguer vient de nous quitter. Fondateur et animateur infatigable du mouvement Phases, il était aussi membre de notre association depuis sa création. Nous republions ici un texte de Jean-Michel Goutier qui préfaçait en août dernier une exposition organisée, à Santiago, au Chili, par Aldo Alcota du groupe Derrame, à la galerie Arte Taller de Rokha, en hommage à Edouard Jaguer.
 
 
L’exposition en 2005, à Santiago du Chili, des peintres de Phases avec leurs amis du groupe Derrame, est la dernière manifestation de portée internationale parrainée par Édouard Jaguer avant sa récente disparition.
Cette structure d’accueil tolérable aux singularités errantes éparpillées de par le monde, selon la formule que j’ai proposée, en 1994, pour tenter de définir la mouvance Phases, a offert, “en accordant la plus large place à l’imaginaire et en excluant tout parti pris formaliste”, aux poètes et aux peintres de plus de vingt pays des rencontres, des publications et des expositions. C’est, à mon avis, cette dimension planétaire qui a donné au mouvement créé par Jaguer son importance dans les milieux artistiques durant la seconde moitié du XXè siècle. Né en 1924, à Paris, Jaguer a découvert très tôt la poésie et la peinture surréalistes ainsi que l’art non-figuratif. Il participe aux activités du groupe de La Main à Plume (1943-1945), à celles, après guerre, de la revue d’Yves Bonnefoy  La Révolution la nuit, à la revue de Christian Dotremont  Les Deux Sœurs (1946-1947) et, fin 1948, on le retrouve parmi les animateurs du Surréalisme révolutionnaire et comme correspondant parisien de Cobra (1948-1951). Cofondateur de la revue Rixes avec Max Clarac-Sérou et Iaroslav Serpan (1949-1951), il fonde enfin, en 1952, avec sa femme Anne Éthuin, la revue et le mouvement Phases qui obtiendront très vite une audience internationale. Le premier numéro de la revue paraît en 1954 et, après Paris, des expositions se succèdent, entre 1955 et 1960, à Milan, Mexico, Amsterdam, Tokyo, Buenos-Aires, Bruxelles, Lima, Montevideo, Wüppertal, Santa-Fé, Cracovie, Varsovie, Lublin et Copenhague.
C’est le moment de rappeler le rôle stratégique des Bulletins internationaux du surréalisme souligné par l’article de Benjamin Péret « Le surréalisme international » publié dans les Cahiers d’Art, en 1936, à son retour de Santa Cruz de Tenerife, où il venait de donner des conférences avec Breton et d’inaugurer avec leurs amis de la revue Gaceta de Arte une exposition surréaliste. Péret insiste sur l’intérêt accordé au surréalisme international dans l’optique révolutionnaire qui prévaut alors parmi les membres du mouvement; il mentionne l’adhésion sans réserves des rédacteurs de la revue canarienne aux prises de position des surréalistes parisiens et cite, pour ce faire, Domingo Pérez Minik : « Nous devons convenir qu’en Occident, de tous ces mouvements d’avant-garde quelque chose reste essentiellement vivant, fécond et subversif : le mouvement surréaliste ». N’est-il pas évident, à ce rappel, qu’un parallélisme peut aisément s’établir, entre les actions internationalistes entreprises par le mouvement Phases et par le mouvement surréaliste, parallélisme qui se manifeste avant tout par le désir de propager, au-delà des frontières, les idées d’émancipation de l’homme, inhérentes à tous les individus épris de liberté. Saluons avec reconnaissance la trajectoire de notre ami Édouard Jaguer qui a constamment revendiqué l’aspect hautement subversif de l’imaginaire, lui qui écrivait à l’heure des révoltes de la jeunesse à Berlin, Tokyo, Varsovie, Madrid et Paris en 1968: « L’imagination se moque du pouvoir, car elle a tous les pouvoirs. »


Jean-Michel Goutier, juillet 2006

Trois cerises et une sardine, n°19, octobre 2006