Le surréalisme est une tentative purement désintéressée. Aucun des surréalistes n'écrit pour le public – c'est à dire en vue du succès – par conséquent ils ne cherchent ni à lui plaire ni à lui déplaire. Ils ne font aucune concession d'aucune sorte au goût du public. En cela ils sont contre la commercialisation de l'esprit.

Benjamin Péret: "Ce qu'est le surréalisme", 1929

 

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La subtilité d'Edouard Jaguer, tout au long de ce pamphlet qui n'en est pas un: Le surréalisme face à la littérature est, précisément, de ne pas l'avoir intitulé "Le surréalisme contre la littérature". Ce qui permet de mettre en place un couple de transformation, toujours et jamais le même, comme celui (ceux) de l'embarquement pour Cythère. Roméo (surréalisme) et Juliette (littérature) font la courte échelle au docteur jekyll (littérature) et à Mister Hyde (surréalisme) qui eux-même passe le relais à Fantômas (surréalisme) et à Juve (littérature), lesquels n'ont de cesse que de se débarasser du sale gosse en le refilant à Camille Claudel (surréalisme) et à Paul (littérature, à moins que ce ne soit l'inverse), l'ultime avatar du couple étant etc et and so on.

Mais l'immense intérêt de cet opuscule dépasse de beaucoup son objectif polémique, tout mesuré qu'il soit. Jaguer montre, sans en avoir l'air, que le surréalisme, en tant que groupe, a existé dans la liberté: liberté synchronique des attractions individuelles, notamment par rapport à André breton, liberté diachronique de moduler, le temps et l'histoire aidant, l'intérêt porté à tel ou tel écrivain.

Cela dit, la raison dialectique est au rendez-vous car cette double liberté ne s'accomplit que dans l'émerveillement, face aux éternels défis qui se nomment Sade, Swift, Baudelaire, Kleist, Lautréamont et Rimbaud.

Jean Schuster

Edouard Jaguer: Le surréalisme face à la littérature


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