A la Chambre des Députés.


M. LE PRESIDENT. — La parole est à Mlle Lanterne.


MLLE LANTERNE. — Je ne songe- pas seulement à l’attitude que pourront prendre les gigots, mais je constate que plusieurs israélites qui s’étaient fait inscrire dans la discussion du projet de loi relatif à l’ouverture d’une caisse de camemberts, ont, maintenant que vous avez fixé à aujourd’hui le ravalement des nez camus, reporté leur inscription à une date ultérieure. Nous devons néanmoins ravaler ces nez dont le souvenir hante les auditeurs des tribunes, les modeler avec art afin qu’ils épousent les formes harmonieuses d’une brosse à reluire.

Benjamin Péret: "Ici l'on rase gratis", chapitre 3 de Mort aux vaches et au champ d'honneur (extraits).

  

 

 

Enregistrement au Théâtre de l'Usine, Eragny-sur-Oise, 1994.
Réalisation : Sophie Guénebaut et Ludovic Tac
Prise de son : Arnaud Dewiler et Nicolas Jappelle
Mixage : Dominique Lambert.
 
 
  J'ai toujours été frappé par le pouvoir d'évocation de la langue de Benjamin Péret, qui n'hésite pas à partir d'une situation réaliste - ici une séance de l'Assemblée Nationale - pour la subvertir littéralement et dans tous les sens. Pourtant, cette subversion n'est pas un texte contre, elle utilise la situation pour la transfigurer, pour la travailler de l'intérieur si l'on veut. Et le plus étrange encore c'est que cette opération a pour résultat de nous rendre cette séance à l'assemblée encore plus proche. Ce qui démontre bien que le surréel n'est pas à côté, au dessus, en dessous ou dans les marges du réel, mais dans la réalité elle-même. La langue de Péret agit comme révélateur d'une réalité sans cela incompréhensible, et de surcroît y ajoute un humour décapant. 
Pour cette réalisation nous avons réuni plus de 15 comédiens dans un théâtre, et avons laissé libre cours à l'interprétation de chacun. Nous avons procédé à des coupes mineures, après quelques répétitions, pour raccourcir le texte qui était un peu long.
 
Ludovic Tac, 18 mars 2017.