giovanna poemes aphorismes Au registre des relations humaines les plus élémentaires, ce qu’un philosophe honni appelait les « parleries quotidiennes » (Heidegger), chacun a des raisons légitimes de se plaindre du manque d’attention et d’originalité manifesté par nos semblables. Par exemple, on peut estimer – en suivant Giovanna – que des progrès décisifs seraient accomplis en introduisant quelques menus changements dans nos habitudes verbales comme « Substituer au : Comment ça va ? Comment va le Ça ? » Il est évident que la réponse la plus commune « Merci, Ça va… » gagnerait de beaucoup en ambiguïté. Et si, sur un mode plus agressif, on interpelle ainsi à la cantonade : « Comment va votre lâcheté ? Et le petit denier ? Où en est aujourd’hui votre hypocrisie ? Comment vont et viennent vos revirements ? Avec des hauts et des bas, je suppose. » Alors les règles de la sociabilité conventionnelle se déchireraient sans coup férir. Faire rire, justement, à partir de la langue et de ses échos onomatopéïques, faire saillir ce qu’elle contient d’immarcesciblement humoristique, en quelque sorte son texte latent, tel est l’objet du travail sur les mots de Giovanna dans ces poèmes et aphorismes écrits et, pour partie, publiés entre 1989 et 2015. Pour entrer dans cette langue, un préliminaire s’impose néanmoins que précise Ascendant Sade. Un beau con, une belle comme (1989) : décrucifier le verbe. Ensuite, il suffit de savoir quelle langue prendre. Le panel est large, mais il va sans dire que la différence est profonde entre « La langue de Claudel quêteuse ou la langue de Péret fouteuse de trouble. » Le choix de Giovanna reste fidèle à cette option glissante faisant déraper les mots pour tirer la langue hors de ses écueils les plus éculées, ceux où s’enlisent les clichés et le radotage, comme elle a pu par la passé faire déraper sa machine à écrire pour lui faire produire ce pour quoi elle n’était pas initialement prévue. Il faut se remémorer ici ses dessins détournant la fonction de la machine à écrire (Deus ex machina, Le récipiendaire, 1977), dont on voit un exemple en couverture de l’ouvrage publié chez Peter Lang. Précédé d’un éclairage de Jacqueline Chénieux retraçant son parcours de la performance (La Carte absolue, 1965) aux jeux de mots d’esprit duchampien en passant par la peinture, la lecture de ce volume nous invite aussi, avec un salutaire sourire, à repenser le sens de l’histoire : « C’est uniquement par procrastination qu’on a remis aux lendemains ceux qui chantent ». Tout espoir est donc permis du moment qu’on appelle un ça un ça.

Giovanna, Poèmes et aphorismes (1989-2015), Préface de Jacqueline Chénieux. Avant-propos de Giovanna, Peter Lang, 2017, 317p.