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Benjamin Péret au Mexique (photo Gunter Gerszo)
Benjamin Péret, l’enfant terrible du surréalisme , figure singulièrement pure de toute concession, compagnon fidèle d’André Breton depuis les débuts du mouvement surréaliste, est enfin célébré comme il convient. Le centenaire de sa naissance aura été l’occasion, au cours de l’année 1999 de plusieurs publications : articles, choix de poèmes et une étude du parcours politique du poète signée de Guy Prévan. France Culture lui a consacré quatre heures d’émission (1). Après la tenue d’une exposition et d’un cycle de conférences à la Maison de l’Amérique latine à Paris, une seconde exposition et des tables rondes organisées par l’IFAL, au mois de novembre dernier au Mexique, ont rendu hommage au poète qui vécut près de six années en exil dans ce pays. Le soir de l’inauguration, ses amis toujours vivants : Leonora Carrington, Chiqui Weis et Gunther Gerszo, étaient fidèles au rendez-vous, Toutes ces manifestations, soutenues activement par l’Association des amis de Benjamin Péret (2) rendent justice à un homme et à une œuvre encore largement méconnus.

GERARD ROCHE



GUY PREVAN,
PERET BENJAMIN, REVOLUTIONNAIRE PERMANENT
Syllepse, 93 p., 50 F.

BENJAMIN PERET,
TROIS CERISES ET UNE SARDINE, SUIVI D’AUTRES POEMES,
Textes présentés par Dominique Rabourdin et Richard Walter
Syllepse, 93 p., 50 F.

BENJAMIN PERET (1899-1999),
Dossier établi par Claude Courtot
Poésie 1, le magazine de la poésie,
Le Cherche Midi éditeur, septembre 1999, 28 F.

BENJAMIN PERET
"Correspondance inédite avec Pierre Mabille et Pablo Picasso"
Pleine Marge
Cahiers de Littérature, d’Arts Plastiques et de Critique
N°31, juin 2000



Cet homme « qui croyait si peu en lui, qui attachait si peu d’importance à son œuvre poétique – une des plus originales et sauvages de notre époque – jamais ne cessa de faire confiance à la vie […]. Grâce à des hommes comme Péret la nuit dans le siècle n’est pas absolue », écrivait Octavio Paz lors de la disparition du poète.

Né à Rezé en 1899, Benjamin Péret fut tout d’abord cet adolescent rebelle qui, à l’âge de dix-huit ans, par bravade, à Nantes, peignit une statue de sa ville d’adoption, et fut contraint par sa mère à s’engager. C’est le même, au sortir de la guerre, ayant rejoint le mouvement Dada, qui tient le rôle du soldat inconnu au procès Barrès, marchant au pas de l’oie, provoquant la fureur de la salle. C’est à lui et à Pierre Naville que sera confiée la direction des deux premiers numéros de La Révolution surréaliste. Benjamin Péret entre ainsi en scène de la manière la plus incisive, comme une « fourchette coupante » pour emprunter le titre d’une étude que lui consacrera son ami Jehan Mayoux. De 1920 à sa mort, survenue en 1959, il restera fidèle à l’idéal de sa jeunesse et au mouvement surréaliste.

Révolutionnaire permanent.

Guy Prévan nous donne la première biographie politique de Benjamin Péret, aussi succincte que dense. Un récit alerte, riche et précis qui nous rend compréhensible un parcours complexe dans les méandres des groupes révolutionnaires oppositionnels entre 1924 et 1959. Maître d’œuvre de la publication des derniers tomes des Œuvres complètes aux Editions José Corti, Guy Prévan apporte à son récit de nombreuses informations inédites ou peu connues, révélant la cohérence entre une œuvre poétique singulière, fidèle à l’automatisme surréaliste , et un combat politique intransigeant dont l’anticapitalisme comme l’antistalinisme auront été la marque permanente.

Plus jeune que Breton de trois ans, Péret fait partie de cette génération intellectuelle qui a vu dans la Première Guerre mondiale la faillite morale d’une société qui a justifié, au nom de la raison, l’injustifiable. Si l’originalité et la force de sa poésie qui s’expriment dans ses premiers recueils et contes (Le Passager du transatlantique, Au 125 du boulevard Saint-Germain, Immortelle Maladie, Il était une boulangère) s’imposent d’emblée, il n’apparaît pas d’abord comme l’un des principaux protagonistes d’un groupe surréaliste alors dominé par les fortes personnalités de Breton, Aragon et Eluard. Cependant, il est parmi les tout premiers à adhérer au parti communiste et collabore à l’Humanité, où il anime une chronique cinématographique et signe des articles virulents contre les gradés et les curés.

En 1928, il épouse la cantatrice brésilienne Elsie Houston et fait la connaissance de Mario Pedrosa, son beau-frère, lequel vient de souscrire aux thèses de Trotski. Au Brésil, où il séjourne de 1929 à 1931, il va s’inventer une sorte de nouvelle vie qui fera de lui simultanément : un oppositionnel de gauche, un poète reporter curieux des rituels de la makumba et du candomblé, un correcteur, un père de famille (son fils Geyser naquit le 31 août 1931) et un prisonnier politique. Péret sera finalement expulsé comme « agitateur communiste » par le gouvernement de Getulio Vargas. De retour en France, il réintègre le groupe surréaliste et ne reste pas longtemps sur la touche, poursuivant son activité militante dans les groupes oppositionnels. Guy Prévan trace un portrait de Péret : « […] c’est un fonceur, c’est un actif, il aime participer ». Il est non seulement de tous les combats surréalistes des années trente mais il n’hésite pas, deux semaines après le putsch de Franco, à se rendre en Espagne comme délégué du POI (Parti communiste internationaliste) avec Jean Rous, responsable du Secrétariat international du mouvement pour la IVe Internationale afin de représenter leur organisation auprès du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) que dirige Andres Nin. Péret ne se ménage pas et parcourt le front, s’occupe de menues tâches militantes, parle en langue portugaise à la radio du POUM. Interrogé par Guy Prévan, Jean Rous a gardé le souvenir d’un Benjamin Péret « très mobilisé, très efficace ». Mais le trotskisme intransigeant de Péret s’accorde mal avec le cours que suit la révolution espagnole. Il écrit à Breton : « Ici on retourne tout doucement à l’ordre bourgeois. Tout le monde s’avachit lentement. Les anarchistes s’embrassent sur la bouche avec les bourgeois de la gauche catalane et le POUM leur fait des sourires à n’en plus finir » (Barcelone, 5 septembre 1936). Après l’exclusion des trotskistes du POUM, Péret combattra dans la colonne Durruti quelques mois après la mort du dirigeant anarchiste en novembre 1936. Cela ne fait pas pour autant de Péret un adepte de l’anarchisme dont, à maintes reprises, il fera un bilan politique sévère.

Arêté en mai 1940 à Rennes, il est libéré en payant une rançon de 1000 francs aux autorités allemandes. La publication récente d’une correspondance inédite nous apprend que Péret avait sollicité l’aide financière de Picasso pour sa libération (3). A Marseille où il se réfugie en mars 1941, il travaille un temps à la coopérative Le Croquefruit fondée par Jean Rougeul et Sylvain Itkine et, grâce au Comité de secours américain qu’anime Varian Fry (4), il embarque pour le Mexique en octobre de la même année. Il demeurera six ans dans ce pays dans des conditions financières certes difficiles, mais sera fasciné par l’art maya et les mythes et légendes des sociétés précolombiennes dont il entreprend une vaste anthologie qu’il ne parviendra à terminer que peu de temps avant sa mort. C’est au Mexique qu’il rédige Le Déshonneur des poètes (1945), un énorme pavé dans la mare de la « poésie résistante ». Guy Prévan n’a pas tort de voir dans ce virulent pamphlet, dont Aragon et Eluard font essentiellement les frais, une « application théorique et polémique » du Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant rédigé par Trotski et Breton en 1938. « La poésie, lieu géométrique de l’amour et de la révolte » comme l’a définie Péret n’a pas pour vocation « à faire le trottoir entre la banque et la caserne, entre la sacristie et le comité central », écrit Guy Prévan dans la même veine que Le Déshonneur.

De 1948 jusqu’à sa mort, Péret participera à toutes les entreprises du mouvement surréaliste et collaborera à toutes ses publications (Néon, Médium, Le Surréalisme même). Sur le plan politique, après la rupture avec la IVe Internationale en 1948, en désaccord avec l’analyse de la nature de l’URSS, il se retrouve alors avec quelques autres réfractaires dans l’UOI (Union ouvrière internationale), puis, militant solitaire, salue la révolution hongroise qui lui fait entrevoir une nouvelle aube, combat le colonialisme et la guerre d’Algérie. C’est la période où il s’interroge : « Le principal – écrit-il à son ami Munis – serait de faire une révision générale des valeurs pour la génération de demain en critiquant tout l’acquis. Mais en aurons-nous le temps ? » Son dernier combat sera d’être aux côtés de Dionys Mascolo et Jean Schuster qui lancent une revue d’opposition au nouveau régime installé par de Gaulle en 1958 : Le 14 juillet.

Le royaume de l’analogie


«Il fallait – écrit Breton  dans son Anthologie de l’humour noir – un détachement à toute épreuve pour émanciper le langage au point où Benjamin Péret a su le faire.» Ce langage poétique inimitable, reconnaissable entre tous, est bien celui où s’exprime avec une audace et une totale liberté un « principe généralisé de mutation, de métamorphose ». C’est ce qu’a entrepris de démontrer Claude Courtot dans un dossier qui rassemble une interview (5) donnée à France Culture et un choix de textes de Péret. De tous les poètes surréalistes, il est sans aucun doute celui qui aura pratiqué l’écriture automatique avec le plus de ferveur et de régularité, sans parler de la réussite.

Claude Courtot dont l’Introduction à la lecture de Benjamin Péret (Le Terrain vague, 1965) demeure, trente cinq ans après sa parution, la meilleure analyse de l’œuvre du poète, revient sur quelques aspects de celle-ci. Si les premiers écrits, en particulier les contes, révèlent la conquête d’un nouveau monde poétique, Le Grand Jeu déploie « autant de fragments arbitraires surgis du débit ininterrompu d’un discours poétique qui ne connaît d’autre fin que lui-même ». Les recueils qui suivent illustrent de façon éclatante la triple aspiration du surréalisme : la poésie, l’amour, la liberté. Dans De derrière les fagot  (1934) explose un festival d’humour, Je Sublime (1936) est le grand recueil du lyrisme amoureux, tandis que Je ne mange pas de ce pain là (1936) exprime un cri de révolte d’une violence inouïe. Il faut distinguer à part les grands poèmes de la dernière période : Toute une vie (1950) et Air mexicain (1952) en raison de leur « tonalité épique, où les trouvailles automatiques s’inscrivent dans une structure logique, voire narrative ».

Claude Courtot esquisse une intéressante comparaison entre l’automatisme de Péret et celui de Breton qui, sans doute, mériterait d’être approfondie : l’usage du pronom relatif permet à Péret de relancer indéfiniment son propos – « le relatif est comme le fil qui établit le cours-circuit d’où jaillit l’étincelle » – c’est ce qui explique la différence entre l’automatisme de Breton et celui de Péret : « tout se passe comme si l’automatisme chez Breton était de nature verticale […] les phrases dictées sont autant de messages debout, sans liens apparents entre eux, autant de phrases de réveil mises bout à bout. Au lieu que chez Péret les phrases se lient l’une à l’autre très étroitement : l’écriture automatique me semble dans ce cas de nature horizontale. »

Poète « des images ouvertes, battantes », Péret bouleverse l’ordre des choses et de l’univers. C’est le royaume de l’analogie. Dans la poésie de Péret existe un monde qui ignore le temps, l’espace et les lois de la physique. « Nous sommes – affirme encore Courtot – au royaume des métamorphoses permanentes. » En effet, Péret nous convie à la découverte d’un Nouveau monde qui est celui de la poésie. Rien ne sous semble mieux l’illustrer que son ouvrage Histoire naturelle, dont certains textes ont été écrits au Mexique et que Lourdes Andrade vient de traduire en espagnol. (6)

Benjamin l’impossible

Richard Walter et Dominique Rabourdin ont pris le parti de publier le choix de poèmes de Péret par David Gascoyne et ont eu l’heureuse idée de le compléter par une plaquette – Benjamin l’impossible – recueillant les textes de souvenirs et d’hommages de la plupart des amis du poète ( ). Textes émouvants d’une poignée de fidèles qui célèbrent celui qui vient de disparaître : « un prince de l’invective et de la liberté » (Alain Jouffroy) ; « un homme d’un seul tenant » (Julien Gracq) ; « le soldat inconnu du surréalisme » (Jacques Audiberti) ; « poète surréaliste par excellence » (André Pieyre de Mandiargues) ; « incendiaire au cœur pur » (Maurice Nadeau). Marcel Fourrier, son vieux camarade du temps de Clarté, écrit : « ..chez lui le rêve et l’action n’étaient pas contradictoires ». Retenons de ces témoignages celui de Jean-Louis Bédouin qui fut l’un des amis les plus proches du poète et qui l’a côtoyé presque quotidiennement dans la dernière partie de sa vie : « C’est comme si manquait une couleur au spectre : le rouge Benjamin, un homme d’avant ce qu’ils appellent la « chute », un homme qui n’était pas encore coupé de ses racines, qui n’avait pas encore subi le divorce de l’esprit et du cœur. Et cette part secrète ; chez ce maître imagier, ce regard qui se perdait si loin ; cette énigme qu’il portait en lui.. »

La Quinzaine Littéraire, septembre 2000


Notes

 1. Emission spéciale consacrée à Benjamin Péret, réalisée par Mathieu Bénézet, diffusée sur France Culture le 21 août 1999.

2. L’Association des Amis de Benjamin édite un bulletin : Trois Cerises et une sardine (Adhésion et abonnement : 50, rue de La Charité 69002 LYON)

3.  Benjamin Péret à Pablo Picasso, 16 juillet 1940, Pleine Marge, n° 31, juin 2000, p. 95.

4. Voir Varian Fry, La liste noire, Plon-Presses de la Cité, 1999.

5. Interview de Claude Courtot par Thierry Beauchamp le 26 octobre 1998 pour une émission de France Culture, "Tire la langue " (diffusée le 18 décembre 1998) consacrée à Benjamin Péret.

6. Benjamin Péret, Historia natural, traduction en espagnol de Lourdes Andrade, illustrations, Magali Lara, Artes de Mexico, 2000, 63 p.

7. A Bunch of carrots, poems by Benjamin Péret, Roger Roughton, Contemporary Poetry and Prose, Londres, 1936. Benjamin, l’impossible, édité par l’Association des amis de Benjamin Péret et le Terrain Vague/Eric Losfeld, 1989, 52 p.